Homélie du 6 juin 2012, T.R.P Edoardo Cerrato, Procureur général de l’Oratoire ,
messe d’action de grâce pour la fondation,
en présence de S.E. Monseigneur Dominique Rey
Chers frères et sœurs, loué soit Jésus Christ !
1. Je remercie de tout cœur Son Excellence Monseigneur l’évêque, qui a gentiment voulu me charger de faire l’homélie en cette messe d’action de grâce, qu’il préside à l’occasion de la reconnaissance canonique donnée par le Saint Siège à la nouvelle Congrégation de l’Oratoire de Hyères le jour de la solennité de Saint Philippe Néri, le 26 mai dernier.
Mais auparavant, je ressens le devoir de remercier Son Excellence pour la paternité avec laquelle il a accompagné le cheminement de cette jeune communauté, depuis le jour où, il y a une dizaine d’année, il a donné à quelques uns de ses prêtres la possibilité de mener un sérieux discernement sur la vocation oratorienne, à travers l’expérience de la vie communautaire, et à la lumière des constitutions de l’Oratoire.
C’est justement cette année le quatre-centième anniversaire de l’approbation pontificale de ces Constitutions. Une histoire, donc – celle de l’Oratoire de Saint Philippe Néri – qui vient de loin… Elle vient de l’époque fervente, et non exempte de difficultés, des premiers temps qui suivirent le concile de Trente, quand la Réforme catholique, mise en route dans le cœur de l’Eglise bien avant le Concile lui-même, commença à produire ses fruits. On vit en effet une extraordinaire floraison de sainteté, la sainteté qui est le témoignage le plus haut et le plus crédible de la vraie réforme de l’Eglise, dont celle-ci a constamment besoin.
La Congrégation de l’Oratoire, qui avait débuté au stade embryonnaire en 1564 – c’est à dire la première année après la clôture du Concile de Trente – fut érigée canoniquement par Grégoire XIII en 1575, au cœur de la première Année Sainte postconciliaire ; le Souverain Pontife donna mandat de rédiger les Constitutions, et la communauté les élabora jusqu’en 1612, alors qu’un certain nombre de nouvelles communautés étaient déjà apparues dans diverses parties de l’Italie, et avaient commencé à se former également par ici,grâce à la présence du père Giovanni Francesco Bordini, nommé évêque de Cavaillon en 1592, et du père Francesco Maria Tarugi, nommé évêque d’Avignon peu de temps après. Tous deux étaient disciples de Saint Philippe, et le deuxième était spécialement apprécié de saint Philippe, qui avait pensé à lui pour être son successeur dans le gouvernement de la Congrégation.
La Congrégation qui naquit alors présenta dès le début le visage d’une communauté de prêtres profondément spirituels et totalement dévoués au Christ dans l’exercice de leur ministère; vivant une vie familiale fondée sur l’attention et le respect de chacun, chaque personnalité étant vue comme une valeur à faire croître dans le bien, et à former à la lumière de l’Esprit, dans une attitude responsable de liberté authentique, qui non seulement ne s’oppose pas à la progression commune, mais devient une richesse à l’intérieur de la communauté ; une famille bien ordonnée de prêtres qui ne sont pas liés par des vœux religieux, mais vivent l’esprit des vœux dans une vie séculière que l’on peut définir comme une disposition de l’âme à percevoir les inquiétudes de l’homme en vivant dans le monde pour y annoncer l’Evangile sans y être étranger, ni faire preuve d’un paternalisme dédaigneux.
C’est encore cela aujourd’hui, le visage de la Congrégation de l’Oratoire, si elle reste fidèle au charisme suscité dans l’Eglise il y a plus de quatre siècles, par le Saint Esprit, à travers la vie et l’œuvre de Saint Philippe. Et c’est cette fidélité que nous souhaitons aussi à la nouvelle Congrégation oratorienne, qui naît officiellement aujourd’hui à Hyères, dans la communion à l’Evêque, et par décision du Siège Apostolique, comme en fait foi le Rescrit que j’ai eu l’honneur de transmettre.
2. Fidélité au charisme approuvé par l’Eglise!
Pour mieux le comprendre, nous regardons aujourd’hui vers notre Père Philippe, dont nous avons célébré, il y a quelques jours, la fête annuelle.
Qu’il me soit permis de reprendre quelques réflexions que j’ai proposées aux fidèles de Rome, à l’occasion de la fête de Saint Philippe, qui coïncidait en partie, cette année, avec la solennité de la Pentecôte: les secondes vêpres et la messe vespérale du 26 mai dernier ont effectivement laissé la place aux premières célébrations de la Pentecôte, et cette coïncidence a montré avec encore plus d’évidence l’identité de notre saint, qui avec la Pentecôte a un rapport tout spécial.
C’est justement dans l’imminence de cette fête, qu’il reçu dans les catacombes de Saint Sébastien un don extraordinaire : tandis qu’il priait, lui fut «dato Spirito» – donné l’Esprit –, comme lui-même en témoigna ; un globe de feu lui pénétra le cœur, le dilatant et imprimant en lui un élan d’amour, qui le fera tressaillir jusqu’à la fin de sa fin. «Basta, basta, più non posso» – ça suffit, ça suffit, je n’en peux plus! – était obligé de dire Philippe, quand l’irruption de ce feu le brûlait, même physiquement, et que son âme était pleine d’une joie bien plus grande qu’une joie terrestre, parce que c’était une joie paradisiaque, que la créature humaine, dans la finitude de sa condition terrestre, peine à supporter, et se voit défaillir.
C’était au printemps 1544 que ceci arriva ; Philippe avait 29 ans, et était laïc. Il ne sera ordonné prêtre que sept ans plus tard. Dans la ville de Rome il vivait intensément sa vie de foi et de charité… Le Seigneur le préparait à devenir l’Apôtre de Rome pour les temps nouveaux.
L’Eglise avait entrepris de façon décidée un processus de renouvellement. L’année précédente, en 1543, s’était ouvert le concile de Trente, qui tracerait par ses décrets un virage énergique pour la vie ecclésiale, et pour la vie ecclésiastique… Mais il fallait des hommes et des femmes qui accueillent cet encouragement, car les réformes – nous le savons – ne deviennent pas réalité sur le papier, mais dans la vie des personnes qui changent, qui se renouvellent, comme l’a dit merveilleusement, à notre époque, la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta à un journaliste qui lui demandait : «Qu’est-ce qui doit changer dans l’Eglise?». «You and me» : toi et moi, répondit mère Teresa!
Cette supplication au Seigneur qu’il lui donne l’Esprit, exprimait chez saint Philippe la disponibilité à devenir un homme nouveau. Son parcours était déjà commencé depuis des années, mais Philippe comprenait que la volonté et l’effort humain ne suffisent pas : il faut demander l’intervention de Dieu; et cette supplication, cette insistante prière, est ce qui prépare le terrain à la naissance de la nouveauté…
Le don de Dieu lui parvint de manière extraordinaire ; mais ce caractère extraordinaire avait seulement pour but de mieux faire prendre conscience que le don est pour tous, pour tous ceux qui le désirent et le demandent sincèrement.
Et le don de l’Esprit est une nouveauté qui investit toute la vie, la vie de tous les jours, celle qui change, non parce que changent les circonstances et les situations, mais parce que le cœur de celui qui les affronte se transforme!
Ce don, Philippe le demandait instamment, vivant sa foi comme laïc et exerçant la charité envers tous, les pauvres en moyens matériels, mais aussi les pauvres de vie spirituelle, tous ceux qui avaient besoin d’un coup de main pour être remis en marche…
Combien cela nous est-il nécessaire aujourd’hui aussi – à tous: à nous croyants et aux si nombreuses personnes qui semblent ne plus l’être – il est évident dans notre société, où germent continuellement de nouveaux rameaux d’une plante vénéneuse qui donne des fruits empoisonnés…, celle dont parlait un illustre Vicaire de Rome, le cardinal Camillo Ruini, quand il disait : «passé le siècle de l’athéisme, il s’ouvre en Occident celui du cynisme: un adversaire peut être moins provocant, mais plus sournois».
Le cynisme, qui est diabolique, se revêt de bon sens, de sens du concret, de sens pratique, et lentement il étrangle la moralité, la conscience, nous renfermant dans l’égoïsme, éteignant en nous l’Esprit. Cette célèbre boutade d’Oscar Wilde est bien connue : « Qu’est-ce qu’un cynique? C’est quelqu’un qui connaît le prix de chaque chose, mais la valeur d’aucune». Les sentiments, les réalités spirituelles, les vertus morales sont méprisées: diligent pour tout ramener à soi et à ses projets, le cynique piétine tout de la vie.
Nos saints – qui se sont laissés habiter par l’Esprit Saint – resplendissent à nos yeux comme leur exact contraire: ce sont des hommes vrais, capables d’affronter le don de la vie, dans le bien et dans le mal, dans la joie et dans la souffrance; des hommes humbles qui ne poursuivent pas leur propre projet, mais celui de Dieu, et qui reconnaissent que tout est don, même la bonne volonté, même l’effort de l’homme qui y met du sien…
Tout est don, et tout est vécu par eux dans la gratuité!
Une marque que cette dimension fondamentale est accueillie et vécue par les disciples du Christ est la sagesse, telle qu’elle a été présentée dans la première lecture (Sap7,7-14) ; l’est aussi la joie, dont l’apôtre a parlé dans la seconde (Phil 4, 4-9). Et la source de la sagesse et de la joie se trouve dans l’attitude recommandée par le Seigneur dans l’Evangile (Jo 15, 1-8) : «Demeurez en moi […] comme les sarments dans la vigne».
Pour Philippe Néri, notre père et maître sur le chemin, Jésus Christ n’est pas simplement une référence, même importante: il est le centre de tout, la présence de l’Emmanuel – Dieu avec nous, qui arrache l’existence humaine à la vanité, lui donne une vraie consistance, et en révèle la signification authentique. Notre saint répétait constamment: «Celui qui veut autre chose que le Christ ne sait pas ce qu’il veut, et celui qui veut autre chose que le Christ ne sait pas ce qu’il demande.Vanitas vanitatum et omnia vanitas [vanité des vanités, tout est vanité], sauf le Christ» ; à sa nièce sœur Maria Anna Trevi il écrivait : «Que Dieu vous donne la grâce de vous concentrer tellement dans son divin amour, et d’entrer si profondément dans la plaie de son côté, dans la source vive de la sagesse du Dieu fait homme, que votre amour propre soit anéanti, et qu’il vous soit impossible de retrouver la route pour en ressortir»; et il disait que « s’il y avait que dix personnes à ne vouloir que le Christ, il aurait assez de cœur pour convertir le monde entier».
Excellence Révérendissime,
Chers Pères et Frères de l’Oratoire de Hyères,
Chers amis,
Loué soit Jesus Christ!