Saint John-Henry Newman, prêtre (1801-1890)
Fêté le 9 octobre
Né à Londres en 1801, il a rempli pendant plus de vingt ans la fonction de pasteur anglican et de fellow au Collège d’Oriel à Oxford.
Après avoir approfondi de toutes ses forces sa connaissance de l’histoire de l’Église primitive, il fut attiré peu à peu par la foi catholique et fut reçu en 1845 « dans l’unique bergerie du Sauveur », comme il le dit lui-même. Élevé au sacerdoce catholique en 1847, il fonda l’Oratoire de saint Philippe Néri en Angleterre.
Avec beaucoup d’efficacité, il écrivit de nombreux ouvrages sur des sujets très variés. Loué en tant que pasteur humble et ardent, qui a largement donné de l’éclat à l’Église par sa clarté intellectuelle, il fut créé Cardinal en 1879 par le pape Léon XIII.
Il est mort à Birmingham le 11 août 1890. Il Fut béatifié par Benoît XVI le 19 octobre 2010.
John Henry Newman a été canonisé le dimanche 13 octobre 2019 à Rome, par le Pape François.
Retrouvez ci-dessous la présentation de ce futur saint, par le père Christian, prévôt de l’Oratoire de Hyères.
MESSE ET BÉATIFICATION DU VÉNÉRABLE CARDINAL JOHN HENRY NEWMAN
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI, Cofton Park de Rednal – Birmingham – Dimanche 19 septembre 2010
Chers Frères et Sœurs dans le Christ,
Ce jour qui nous rassemble ici à Birmingham est un jour particulièrement béni. D’abord, parce que c’est le Jour du Seigneur, dimanche, jour où notre Seigneur Jésus Christ est sorti vivant d’entre les morts et a changé pour toujours le cours de l’histoire humaine, offrant une vie et une espérance nouvelles à tous ceux qui vivent dans les ténèbres et l’ombre de la mort. C’est pourquoi les chrétiens dans le monde entier se réunissent ce jour-là pour rendre gloire à Dieu et le remercier de toutes les merveilles qu’il a accomplies pour nous. Ce dimanche-ci évoque en outre un moment significatif de la vie de la nation britannique, car c’est le jour choisi pour commémorer le soixante-dixième anniversaire de la «Bataille d’Angleterre». Pour moi, qui ai vécu et subi les souffrances liées aux jours sombres du régime nazi en Allemagne, il est très émouvant de me trouver ici parmi vous en cette occasion et de faire mémoire de vos si nombreux concitoyens qui ont sacrifié leur vie, résistant courageusement contre les forces de cette terrible idéologie. Ma pensée rejoint d’une manière spéciale la ville voisine de Coventry qui fut frappée au cours du mois de novembre 1940 par des bombardements massifs et de lourdes pertes en vies humaines. Soixante-dix ans plus tard, nous nous souvenons avec des sentiments de honte et d’horreur de l’effrayant coût en vies humaines et en destructions que la guerre entraîne, et nous renouvelons notre résolution de travailler pour la paix et la réconciliation là où pèse la menace de conflits. Toutefois, un autre motif, plus joyeux, fait de ce jour un moment particulièrement porteur de promesses pour la Grande-Bretagne, pour les Midlands, pour Birmingham. Car c’est le jour qui voit le Cardinal John Henry Newman officiellement élevé aux honneurs des autels et proclamé Bienheureux.
Je remercie Monseigneur Bernard Longley pour ses paroles de bienvenue au début de cette Messe. Et j’exprime mon appréciation à tous ceux qui ont travaillé fermement au long de nombreuses années pour promouvoir la Cause du Cardinal Newman, en particulier les Pères de l’Oratoire de Birmingham que les membres de la Famille spirituelle Das Werk (l’Œuvre). Je salue toutes les personnes présentes ici, de Grande-Bretagne, d’Irlande et d’ailleurs; je vous remercie d’être venus à cette célébration où nous rendons gloire et louange à Dieu pour la vertu héroïque d’un saint Anglais.
L’Angleterre a une longue tradition de saints martyrs, dont le témoignage courageux a soutenu et inspiré la communauté catholique durant des siècles ici. Mais il est également juste et bon de reconnaître aujourd’hui la sainteté d’un confesseur, un fils de cette nation qui, bien qu’il n’ait pas été appelé à répandre son sang pour le Seigneur, lui a cependant rendu un témoignage éloquent durant une longue vie consacrée au ministère sacerdotal, et spécialement en prêchant, en enseignant et en écrivant. Il mérite bien de prendre place dans une longue lignée de saints et d’érudits de ces Iles, saint Bède, sainte Hilda, saint Aelred, le bienheureux Dun Scott, pour n’en nommer que quelques-uns. Dans la personne du bienheureux John Henry, cette tradition d’élégante érudition, de profonde sagesse humaine et d’ardent amour du Seigneur a porté des fruits abondants, signe de la présence pleine d’amour de l’Esprit Saint dans les profondeurs du cœur du peuple de Dieu, faisant mûrir d’abondants dons de sainteté.
La devise du Cardinal Newman, Cor ad cor loquitur, ou «le cœur parle au cœur» nous donne une indication sur la manière dont il comprenait la vie chrétienne: un appel à la sainteté, expérimenté comme le désir profond du cœur humain d’entrer dans une intime communion avec le Cœur de Dieu. Il nous rappelle que la fidélité à la prière nous transforme progressivement à la ressemblance de Dieu. Comme il l’écrivait dans l’un de ses nombreux et beaux sermons, «pour la pratique qui consiste à se tourner vers Dieu et le monde invisible en toute saison, en tout lieu, en toute situation d’urgence, la prière, donc, a ce qu’on peut appeler un effet naturel, en ce qu’elle élève et spiritualise l’âme. L’homme n’est plus ce qu’il était auparavant: progressivement, il s’est imprégné de tout un nouvel ensemble d’idées, il a assimilé de nouveaux principes» (Sermons paroissiaux, IV, p. 203, Le paradoxe chrétien, Cerf, 1986). L’Évangile d’aujourd’hui nous enseigne que personne ne peut servir deux maîtres (Lc 16,13), et l’enseignement du bienheureux John Henry sur la prière montre comment le fidèle chrétien est définitivement pris pour le service du seul véritable Maître, le seul qui puisse prétendre recevoir une dévotion sans conditions à son service (cf. Mt 23,10). Newman nous aide à comprendre ce que cela signifie dans notre vie quotidienne: il nous dit que notre divin Maître a donné à chacun de nous une tâche spécifique à accomplir, «un service précis» demandé de manière unique et à chaque personne individuellement: «J’ai une mission», écrivait-il, «Je suis un chaînon, un lien entre des personnes. Il ne m’a pas créé pour rien. Je ferai le bien, j’exécuterai la tâche qu’il m’a confié; je serai un ange de paix, je prêcherai la vérité à la place où je suis… si j’observe ses commandements et le sers à la place qui est la mienne )» (Méditations sur la doctrine chrétienne, Ad Solem, Genève 2000, pp. 28-29).
Le service particulier auquel le bienheureux John Henry a été appelé consistait à appliquer son intelligence fine et sa plume féconde sur les nombreuses et urgentes «questions du jour». Ses intuitions sur le rapport entre foi et raison, sur la place vitale de la religion révélée dans la société civilisée, et sur la nécessité d’une approche de l’éducation qui soit ample en ses fondements et ouverte à de larges perspectives ne furent pas seulement d’une importance capitale pour l’Angleterre de l’époque victorienne, mais elles continuent à inspirer et à éclairer bien des personnes de par le monde. Je voudrais rendre un hommage particulier à sa conception de l’éducation, qui a eu une grande influence pour former l’éthos, force motrice qui soutient les écoles et les collèges catholiques d’aujourd’hui. Fermement opposé à toute approche réductrice ou utilitaire, il s’est efforcé de mettre en place un environnement éducationnel où l’exercice intellectuel, la discipline morale et l’engagement religieux pourraient progresser ensemble. Le projet de fonder une Université catholique en Irlande lui donna la possibilité de développer ses idées à ce sujet, et l’ensemble des discours qu’il a publiés sur «L’idée d’une Université» met en évidence un idéal dont tous ceux qui sont engagés dans la formation académique peuvent continuer à s’inspirer. En effet, quel meilleur objectif pourraient avoir des professeurs de religion que celui que le bienheureux John Henry a présenté dans son célèbre appel en faveur d’un laïcat intelligent et bien formé: «Je désire un laïcat qui ne soit pas arrogant, ni âpre dans son langage, ni prompt à la dispute, mais des personnes qui connaissent leur religion, qui pénètrent en ses profondeurs, qui savent précisément où ils sont, qui savent ce qu’ils ont et ce qu’ils n’ont pas, qui connaissent si bien leur foi qu’ils peuvent en rendre compte, qui connaissent assez leur histoire pour pouvoir la défendre» (The Present position of Catholics in England, IX, 390). En ce jour où l’auteur de ces lignes est élevé à l’honneur des autels, je prie pour que, par son intercession et son exemple, tous ceux qui sont engagés dans l’enseignement et la catéchèse se sentent poussés par la conception qu’il a si clairement exposée devant nous à entreprendre de nouveaux efforts.
S’il est bien compréhensible que l’héritage intellectuel de John Henry Newman ait été l’objet d’une large attention dans la vaste littérature qui illustre sa vie et son œuvre, je préfère, en ce jour, conclure par une brève réflexion sur sa vie de prêtre, de pasteur des âmes. La chaleur et l’humanité qui marquent son appréciation du ministère pastoral sont magnifiquement mises en évidence dans un autre de ses célèbres sermons: «Si des anges avaient été vos prêtres, mes frères, ils n’auraient pas pu souffrir avec vous, avoir de la sympathie pour vous, éprouver de la compassion pour vous, sentir de la tendresse envers vous et se montrer indulgents avec vous, comme nous; ils n’auraient pas pu être vos modèles et vos guides, et n’auraient pas pu vous amener à sortir de vous-mêmes pour entrer dans une vie nouvelle, comme le peuvent ceux qui viennent du milieu de vous» («Hommes, non pas Anges: les prêtres de l’Évangile»,Discourses to Mixed Congregations, 3). Il a vécu à fond cette vision profondément humaine du ministère sacerdotal dans l’attention délicate avec laquelle il s’est dévoué au service du peuple de Birmingham au long des années qu’il a passées à l’Oratoire, fondé par lui, visitant les malades et les pauvres, réconfortant les affligés, s’occupant des prisonniers. Il n’est pas étonnant qu’à sa mort, des milliers de personnes s’alignaient dans les rues avoisinantes tandis que son corps était transporté vers sa sépulture à moins d’un kilomètre d’ici. Cent vingt ans plus tard, de grandes foules se sont rassemblées à nouveau pour se réjouir de la reconnaissance solennelle de l’Église pour l’exceptionnelle sainteté de ce père des âmes très aimé. Comment pourrions-nous mieux exprimer la joie de ce moment, sinon en nous tournant vers notre Père des cieux dans une vibrante action de grâce, et en priant avec les paroles mêmes que le bienheureux John Henry a mises sur les lèvres du chœur des anges dans le ciel:
Loué soit le Très Saint dans les hauteurs
Et loué soit-Il dans les profondeurs;
Très admirable en toutes Ses paroles;
Infaillible en toutes Ses voies!
(Le songe de Gerontius). »
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Des écrits du Bienheureux John-Henry Newman
Apologia pro vita sua.
Depuis le moment où je suis devenu catholique, je n’ai évidemment plus de récit à faire sur l’histoire de mes idées religieuses. Je ne veux pas dire par là que mon esprit soit resté oisif, ni que j’aie abandonné l’étude des sujet théologiques, mais je n’ai pas eu à constater que mes convictions aient varié, et mon cœur n’a été troublé par aucune sorte d’inquiétude. J’ai été dans un état de paix et de satisfaction parfaite, je n’ai jamais eu un seul doute. Lors de ma conversion, je n’ai pas eu conscience qu’un changement intellectuel ou moral s’opérât dans mon esprit. Je ne me sentais ni une foi plus ferme dans les vérités fondamentales de la Révélation, ni plus d’empire sur moi-même ; je n’avais pas plus de ferveur, mais il me semblait rentrer au port après avoir traversé une tempête, et la joie que j’en ai ressentie dure encore aujourd’hui sans qu’elle ait été interrompue.
Je n’ai eu non plus aucune peine à adopter les articles nouveaux qui ne se trouvent pas dans le credo anglican ; je croyais déjà à certains d’entre eux, mais aucun ne fut pour moi une épreuve, et j’en fis profession lors de mon entrée dans l’Église catholique, avec la plus grande facilité, tout comme je crois encore en eux aujourd’hui. Naturellement, je suis loin de nier que chaque article du Credo chrétien, tel que l’entendent les catholiques ou les protestants, ne soit entouré de beaucoup de difficultés intellectuelles ; et, c’est un fait bien clair, que pour ma part, je ne puis les résoudre. Beaucoup de personnes sont très sensibles aux difficultés de la religion ; je le suis aussi, et autant qu’aucune d’elles ; mais il ne m’a jamais été possible d’établir un lien entre le fait de saisir ces difficultés, si vives, si étendues soient-elles, et celui que de mettre en doute la doctrine correspondante. Suivant moi, dix mille difficultés ne font pas un doute ; difficulté et doute sont incommensurables. On peut avoir assurément des difficultés pour prouver qu’il faut admettre une doctrine ; mais je veux parler, en ce moment, des difficultés qui sont intérieures aux doctrines elles-mêmes ou qui concernent leurs relations mutuelles. Un homme peut être contrarié de ne pas savoir résoudre un problème de mathématiques dont la solution lui est ou ne lui est pas donnée, sans douter pour cela que le problème ait une solution ou que telle solution déterminée soit la vraie. De tous les articles de foi, l’existence d’un Dieu est, suivant moi, celui qui soulève le plus de difficultés et celui qui, cependant, s’impose à nos esprits avec le plus de puissance.
Il y en a qui trouvent la doctrine de la transsubstantiation difficile à croire ; je n’y ai pas cru moi-même avant d’être catholique, mais je n’eux aucune difficulté à y croire dès que je fus persuadé que l’Église catholique romaine était l’oracle de Dieu, et que, d’après ses déclarations, cette doctrine fait partie de la révélation originelle. C’est difficile et même impossible à imaginer, je l’accorde : mais est-ce difficile à croire ? […]
Je crois tout le dogme révélé comme enseigné par les apôtres, confié par eux à l’Église, et imposé par l’Église à moi-même. Je le prends tel qu’il est infailliblement interprété par l’autorité à laquelle il a été confié, et (implicitement) tel qu’il sera interprété de nouveau par cette même autorité, jusqu’à la fin des temps. De plus, je me soumets aux traditions de l’Église universellement reçues, dans lesquelles se trouve la matière des nouvelles définitions dogmatiques qui sont faites de temps à autre, et qui sont à toutes les époques, la façon de présenter et d’expliquer le dogme catholique déjà défini. Je me soumets également à ces autres décisions du Saint-Siège, théologiques ou non, transmises par les organes qu’il a lui-même désignés, décisions qui ont le droit de se présenter à moi en demandant à être reconnues et obéies, même si j’écarte la question de leur infaillibilité et qu’elles se présentent avec des titres très modestes à mon assentiment. J’admets aussi, qu’au cours des âges, la recherche de a vérité catholique a pris peu à peu certaines formes déterminées, et s’est constituée comme une science, avec une méthode et un vocabulaire qui lui sont propres, sous la direction intellectuelle de grands esprits tels que saint Athanase, saint Augustin ou saint Thomas ; je ne sens nullement tenté de mettre en pièces ce legs intellectuel qui nous a été transmis pour les temps présents.